Eddy de Pretto est le meilleur représentant de cette nouvelle scène qui mélange rap et chanson française. Textes percutants, voix de crooner et sons audacieux.
On pensait la chanson à textes française (aka la variétoche) morte et enterrée sous un néon des années 80. Et l’on ne ressortait les Michel Berger, Véronique Sanson et autres Julien Clerc qu’à l’occasion d’un album posthume que l’on veut faire passer pour un hommage. A moins que ce ne soit en soirée, tard, quand les bouteilles de vin ont fini de rouler sous la table et qu’un bon vieux « Il était une fois » semble être essentiel à toute bonne playlist.
On se trompait. La chanson française fait un retour en force. Portée par une nouvelle génération qui a intégré les nouveaux codes musicaux de son époque. Bien sûr, on s’en était rendu compte avec les phénomènes Fauve, Christine&The Queens, les défricheurs. Et plus récemment des Fishbach ou des Juliette Armanet qui rendent un hommage plus appuyé encore à leurs illustres prédécesseurs.
Mais, signe de la vitalité de ce genre que l’on pensait définitivement coincé au siècle dernier, une nouvelle vague d’artistes est apparue. Plus surprenante. Elle est nourrie aussi bien par Jacques Brel et Edith Piaf que Jay-Z ou Damso. Ce mix explosif entre rap et chanson, on a pu en avoir un aperçu avec le phénomène PNL.
Mais l’artiste du jour, en un seul EP, les surpasse autant en écriture qu’en qualité vocale (pas difficile quand on sait aligner trois notes sans recourir à l’auto-tune, hein PNL?). Eddy de Pretto est son nom. Du haut de ses 25 ans, ce natif de Créteil apporte une éloquence rarement vue à des textes ciselés autour de thèmes peu évoqués dans le milieu du rap : le rapport à la masculinité, l’homosexualité, la peur de la faiblesse.
C’est qu’avec son corps fluet et sa voix profonde, le blondinet perturbe tous les codes. Du rap d’abord, avec ses compositions musicales hyper variées. Des cuivres de « Beaulieue » au piano désincarné de « Fête de trop » en passant par les synthés bien 90’s de « La jungle de la chope », Eddy de Pretto explore de nombreuses pistes musicales en un seul petit EP (« KID »).
Autre particularité, son songwriting. Dans l’excellent « Kid », Eddy de Pretto dénonce l’injonction à la virilité commandée aux jeunes garçons. « Tu seras viril mon kid« , scande-t-il tout au long de ce morceau où il règle ses comptes avec un père qui veut un fils bagarreur, dragueur… « comme tous les garçons« .
Sexe et tentations
La sexualité est d’ailleurs au cœur de ses compositions. Lui qui ne fait pas mystère de son homosexualité, sans pour autant vouloir qu’on ne le définisse que comme un rappeur gay, chante la course à la performance sexuelle (« Fête de trop ») ou la fin du romantisme (« La jungle de la chope ») avec les applis de rencontre, fast-food du plan cul (« La sérénade est morte et je n’ai plus de feu/ Je n’ai plus que pour m’apaiser que des réseaux de jeu » en référence évidente au Clair de la Lune). Et pathétique réponse à la misère sexuelle et affective de ceux qui y ont recours.
Mais si Eddy de Pretto chante comme Nougaro, il ne chante pas comme « Maman m’la dit ». Au contraire, la violence verbale est bien présente chez lui. Dans sa chanson « Beaulieue », hommage autant que critique de sa ville natale de Créteil qui l’a façonné en bien comme en mal, il lance crûment: « Colérique, éclectique, tatouée de nique/Tu parles fort, polémique et crée panique/Tu es violente, sans pitié, crie au PD« . Le verbe est aussi doux que dur dans sa bouche.
Insolent, Eddy de Pretto l’est sûrement. Interrogeant les clichés du rap tout en refusant de verser dans des textes consensuels. Non, Eddy de Pretto veut (nous) parler de ce qu’il a vécu en tant que gamin gay dans une banlieue où tout ce qui sort du lot est à proscrire. Aucune volonté de revanche là-dedans. Simplement l’envie de s’affirmer. A nu. Fragile et âpre à la fois. Tel est Eddy de Pretto.
« KID », EP déjà disponible. En concert le 25 novembre au festival Chorus à la Défense et le 27 novembre aux Etoiles à Paris.