Le champion de la chiptune 2080 sait que sa musique est destinée à rester underground. Pour son plus grand plaisir. Interview.
On a rencontré le DJ français 2080 autour d’un food-truck de poutine (pas Vladimir, l’autre) à la Magnifique Society de Reims. Il a été le curateur pour la scène dédiée aux artistes japonais. Rien d’étonnant pour ce passionné du pays du Soleil Levant qui joue énormément là-bas. Il revient pour nous sur son style musical très particulier, hommage constant aux jeux vidéo qui ont bercé l’enfance de la génération Super Nintendo.
Pourquoi t’appeler 2080?
« C’est une date conceptuelle. Qui mêle mes sonorités très années 80 – j’utilise beaucoup le synthé DX-7 – les jeux vidéo de cette époque et les années 2000. C’est une transposition de ces sonorités dans un format moderne. J’aime bien aussi l’idée que ce soit un nombre que tout le monde puisse le prononcer dans chaque langue d’une manière différente. »
Tu es un représentant de la chiptune (un style electro qui réutilise des sonorités d’ordinateurs ou de consoles retro), un genre qui reste finalement peu représenté malgré l’omniprésence des ordinateurs. Pourquoi?
« Je pense que ça a vocation à rester underground. On ne peut pas générer assez d’argent pour intéresser les médias et se développer. Et c’est pas si mal. La chiptune, c’est un mouvement politique qui se rapproche le plus du punk. On refuse l’obsolescence programmée. J’ai une game boy, elle existe depuis 1989 et je peux encore inventer avec. J’ai pas besoin d’acheter le dernier ordinateur ultra-perfectionné. On peut créer avec quelque chose qui mérite d’aller à la poubelle, même s’il y a un revival du retro-gaming. »
Justement, avec la mode du retro-gaming, tu n’as pas l’impression que c’est désormais réapproprié par la culture populaire?
« Le retro-gaming, c’est un phénomène de mode. Cela va rejoindre l’histoire de l’art. Le jeu vidéo est un nouveau média. Il va évoluer et on va regarder de plus en plus les pionniers avec déférence. C’est comme le cinéma à ses débuts. Mais la chiptune, à qui ça parle? A ceux qui ont connu les jeux depuis leur début jusqu’à la Super Nintendo. Ensuite, avec le format CD de la Playstation, la chiptune n’existe plus puisqu’on enregistre la musique directement sur CD. Cela donne des supers bande-sons mais on n’est plus dans la chiptune. Au final, c’est tout juste 15 ans. Est-ce que ça va inspirer les générations d’après qui n’y ont pas joué? »
C’est donc un art déjà mort?
« Ce n’est pas mort. C’est comme le vinyle. Des gens font vivre ça. Cela fait partie de notre identité, de notre inconscient collectif. Si tu vois un camembert jaune, tu penses à Pac-Man. Mais ça n’a pas vocation dans sa forme la plus pure à être grand public. C’est sans concession. C’est un truc de nerd. Cela ne peut pas être quelque chose de mainstream. »
Tu es aussi un artiste en pixel art. Tu as commencé par la musique ou l’art?
« Exactement en même temps. Je jouais beaucoup aux jeux sur ordinateur petit et j’écoutais la musique en boucle à force de perdre. Et quand j’en avais marre, j’ouvrais un logiciel de dessin, en pixel à l’époque et je dessinais. Ou bien, je bidouillais la musique de mon côté. Tout a commencé en même temps: jouer au jeu, faire de la musique, faire du dessin… »
Tu joues beaucoup au Japon. Le pays est plus réceptif à ce que tu fais? Tu y puises tes références?
« Le jeu vidéo, dans les années 80-90, c’est le Japon. J’ai baigné dans cette atmosphère musicale de Mega Man, Street Fighter II… qui étaient incroyable. C’est une destination naturelle pour moi. Je ne peux pas passer un an sans y retourner, c’est pas possible. Cela m’inspire, ça m’apaise. Je dois y retourner pour me ressourcer. Ils ont une approche de la musique qui est ouverte. Ils sont davantage réceptifs aux propositions musicales. Il y a une curiosité et un goût pour la nouveauté que tu n’as pas forcément en France. Ici, on attend toujours le prescripteur qui adoube un nouvel artiste. Il y a une inertie en France à ce sujet. On a du mal à reconnaître le jeu vidéo comme un média à part entière. Au Japon, c’est très différent. Les gens jouent tous au jeu, lisent tous des mangas. Très tôt, dès 1979, avec le Yellow Magic Orchestra, tu as des samples de musique de jeu vidéo sur leur album. C’est une musique à part entière pour eux. En France, c’est une évolution du jouet en bois que l’on doit abandonner quand on est grand. »
Ta particularité, c’est que tu chantes pendant tes sets. C’est plutôt rare dans ton milieu…
« Je me suis rendu compte de la puissance évocatrice de la voix. Il se créé une empathie avec les gens par la voix. C’est beaucoup plus intime. J’ai essayé une fois et j’ai vu tout de suite qu’il se passait quelque chose. J’essaye de garder un ratio tout de même car je ne suis pas tout à fait à l’aise pour chanter en live, je suis un peu timide. »
C’est quoi ton jeu vidéo préféré? Et à quoi tu joues en ce moment?
« Another world sur Amiga. Et en ce moment je joue à Contra 3 sur Super Nintendo en very hard. Je joue aussi à Super Picross et à Puyo Puyo Tetris sur Switch. Et j’ai The Last Guardian sur le feu. »