On a rencontré le duo de rockeurs de Gascogne The Inspector Cluzo au Main Square d’Arras. Interview qui sent bon le terroir, la politique et le bon vieux rock sans chichis.
The Inspector Cluzo, c’est un groupe de blues rock bien énervé qui écume les festivals mondiaux depuis dix ans. Petite particularité, Laurent Lacrouts (guitare, chant) et Mathieu Jourdain (batterie), sont aussi éleveurs d’oies dans leur région natale: la Gascogne. Un attachement à la terre qui nourrit leur musique, très liée au vieux blues rock américain qui sent bon la poussière.
Mais le duo débonnaire y apporte une large touche funk et garage rock qui transforme chacun de leur concert en véritable fête. Ajoutez à cela l’envie de se tenir éloigner de l’industrie musicale autant que possible et des hommages constants et hilarants (ah, Super Gascon…) à leur région natale et vous obtenez l’un des groupes de rock français les plus atypiques de la décennie.
Comment votre travail d’éleveur d’oies vous inspire dans votre musique?
Mathieu Jourdain : « On est très inspirés de notre travail à la ferme, qui est un équilibre pour nous. Quand on n’est pas en concert, on se retrouve à la ferme, les deux pieds dans la terre. On fait une musique très tellurique. Laurent prend sa guitare le soir, on est face aux Pyrénées sous un coucher de soleil. Il n’en faut pas plus pour nous inspirer. Il y a aussi les pays que l’on voit en tournée. Quand on est au Japon, face au Mont Fuji, c’est fabuleux. C’est tout ça qui nous nourri. »
Comment arrivez-vous à gérer votre carrière musicale et votre exploitation?
Laurent Lacrouts: « Il y a ne grosse partie de l’année où l’on ne tourne pas. Au début, ça a pesé très lourd sur nos finances. Mais maintenant on a notre rythme. Les oies se nourrissent toutes seules dans nos champs avec nos céréales bio. On les garde longtemps, comme les anciens faisaient avant. Avant le Main Square, on a rempli leurs gamelles et là on va y retourner pour les remplir à nouveau. On bosse beaucoup. Le dimanche, les jours fériés. On est aidés quand même par ma femme et deux vieux. »
Le Japon a un intérêt certain pour vous. Et vous, vous en parlez souvent, notamment vos clips (comme « The french bastards »). D’où est-ce que cela vient?
Mathieu: « The Inspector Cluzo a vraiment commencé là-bas. Un ami, à nous, le chanteur de Fishbone, Angelo Moore, qui est fan, a pris notre EP et l’a mis sur le bureau de sa maison de disques au Japon. Ils ont adoré. Cela a bien pris. On a été jouer là-bas, notamment au Fuji Rock festival où l’on va tous les ans. Leur culture est assez proche de la notre. Ils sont très attachés aux produits dans leur approche culinaire. »
Laurent: « On a des amis là-bas. Au sens japonais. Il a fallu six ans pour être accueilli dans la maison de la personne de notre label. Cela ne nous est pas trop exotique car j’ai l’impression de revivre la société agro-pastorale. Ils ont un respect de la parole donnée. Ce qui fait de toi un homme, une femme, c’est le respect des engagements. Nous on vient de la culture gascogne. La Gascogne, c’était dur d’y vivre, c’est pauvre. Mais on respecte la parole. La forme est différente mais pas le fond. »
Comment travaillez-vous sur votre sixième album?
Mathieu: « Ce sera quelque chose dans la terre, dans la continuité. »
Laurent: « Il y aura beaucoup plus de chansons, écrites d’octobre à janvier, après le gavage des joies. Ce sont des chansons qui se jouent notamment à la guitare acoustique. C’était déjà le cas de beaucoup de chansons de « Rockfarmers » (leur dernier album, paru en 2016). Mais « Rockfarmers » était un album laboratoire. Là, c’est plus resserré. C’est l’album des dix ans. Il sera produit par Vance Powell (qui avait déjà mixé leur précédent album), c’est la première fois qu’on laisse faire la production par un extérieur. Cela correspondant à dix ans de carrière et à l’avenir qui s’ouvre devant nous. Pour le nouvel album, c’est une musique qui va prendre le temps de vieillir avec les gens, qui va mûrir. Ce sera électrique et très acoustique. »
Justement, vous faites tout vous-même: que ce soit sur scène où il n’y a pas d’électronique qu’en studio où vous réalisez l’album en entier. Le « fait maison », c’est essentiel?
Laurent: « Au début, on a démarré comme tous les autres groupes, sans manager. On faisait seul. Après, au Japon, on a vu que l’on a pu se débrouiller avec des partenaires locaux et tout driver. On a beaucoup voyagé et on a vu le monde changer en dix ans.
A Johannesbourg, c’est la même chose qu’à Shanghai ou à Moscou. Il y a une uniformisation incroyable. Une pollution globale aussi à cause d’une course à la croissance débile. Il faut faire autre chose. Sinon, on ne fait que boucher des rustines. On ne va pas signer chez une major qui eux-mêmes font le bordel. Aujourd’hui, signer chez Barclay, c’est signer chez Universal, donc Vivendi. Donc signer chez des gens qui déstabilisent des pays, s’accaparent des minerais en Afrique. Donc, on continue comme ça même s’il y a des gens qui sont réfractaires.
On est le début d’une nouvelle génération, pas des décroissants, mais on a envie de proposer autre chose que cette putain de croissance mondialisée. Mais sans dire on ne prend pas d’Iphone ou on n’utilise pas Facebook. On reste connecté au monde, créant des richesses là où l’on est. C’est ce que l’on essaye de faire à la ferme, à notre petite échelle. Et je peux vous dire que ça marche. D’ailleurs, on a jamais été autant connectés au monde qu’en étant hyperlocal.
On fait ça bien en partant du produit, pour la musique comme à la ferme. On veut faire ça comme un grand vin. Notre musique, on la veut élaborée, riche, non formatée. Et on veut s’améliorer pour être meilleurs d’année en année. »
Il arrive quand le bassiste chez Inspector Cluzo?
Mathieu: « Jamais de bassiste. Si il y a des intervenants, ce sera autre chose. Des chœurs, des cuivres, une autre voix… Y a tellement d’autres instruments intéressants que l’on peut se passer d’un bassiste. »
Laurent: « Ce serait convenu et un peu cliché. On a construit le truc sans. Sur le prochain album, on fait venir par exemple une violoniste. Faisons autre chose que ce qui a déjà été fait. »
Vous travaillez énormément avec les petites structures (radio associative, petit festival, sites de fan), pourquoi ce choix?
Laurent Lacrouts: « On travaille beaucoup avec les gros et les petits. Mais pas ceux du milieu. On aime bien aider les petits sites web, les petites radios parce qu’on vient de là. Mais on a besoin de taper dans la presse haut de gamme. On fait un choix. Le Monde est venu, on a eu plein d’appels après un article de l’Obs, notamment des journalistes du JT de France 2. Mais on a par exemple refusé d’aller chez Ruquier car c’est du spectacle. On choisit vraiment la haute presse classe et les passionnés. Où on a le temps de s’exprimer et de ne pas être caricaturés. »
Quel est le rapport à la musique chez vous, en Gascogne?
Laurent: « La musique est ultra-présente dans le monde rural. Chez nous, les gens ont une culture. En ville, y a l’accès à la culture, c’est tout. Et encore, avec internet maintenant, on l’a aussi. Chez nous, il y a une culture puissante. Le monde rural landais fait la fête après le travail. Les gens se mélangent pour jouer de la musique. Il n’y a pas de différence entre le public et les gens qui montent sur scène. Tu montes sur l’estrade, et ça y est, on dit que c’est le spectacle.
Le blues vient de là, du rural. Tous les vieux du Mississippi ont une guitare. Les agriculteurs qui n’ont pas cette culture, c’est parce qu’ils ont basculé dans l’agro-industriel. On nous avait posé la question de savoir pourquoi des agriculteurs votaient Front National. Ce sont ceux qui font de l’industriel. Chez nous, c’est l’inverse. C’est très communiste. Moins on en a et plus on est créatif. »
Comment en êtes-vous venu à ce blues rock très rêche, si éloigné de votre façon de vivre?
Laurent: « On essaie de concentrer le feu sur la scène. On est calme en général comme beaucoup de gens vivant à la campagne. Quand on monte sur scène, c’est le rock’n’roll, c’est électrique. On vient s’amuser mais c’est très contrôlé, maîtrisé. On essaie de construire quelque chose avec le public qui n’a plus l’habitude de voir. Les groupes doivent calibrer leur show pour faire passer tous leurs succès.
Nous, on va construire un moment. La musique, chez nous, c’est la fête. On doit partager quelque chose avec les gens, on prend le temps. Je vais vous citer un vieux proverbe gascon: Les gascons n’ont pas de temps à perdre mais ils font juste perdre le vôtre. »
Vous avez un kit de survie gascon en tournée?
Mathieu: « On a toujours un confit d’oie. On l’a donné à un ami nordiste, avec des rillettes. Mais là, on en a plus. »
The Inspector Cluzo tourne tout l’été dans divers festivals comme les Vieilles Charrues le 13 juillet.